▽ Faisons semblant d'exister.

Tu inspires. Un bol de céréales se renverse à côté de toi, le lait mouillant l'arrière de ta jolie culotte noire embrassant déjà le sol sale du laboratoire. Tu expires. Une légère brise caresse ta peau sèche, blanchie par le froid qui te gelait tes pieds nus depuis deux bonnes heures déjà. Tu inspires. Un flocon de neige vient se poser sur ta chevelure trop blanche. Tu expires. Putain que ça te faisait chier d'être là, chaque jour, à dévisager cette misérable poupée aux cheveux de chewing-gum. Batilda sale connasse tu paieras. Tu paieras pour tes conneries. Tes caprices de gamine. Tes beaux désirs de pétasse. Tu paieras pour tout ça. Tu prends un cachet, pose ta tête contre le mur derrière toi. Pas une larme. Juste une misérable étincelle de vie quittant tes yeux. Tu laisses tomber tes paupières. Tu étais la seule coupable de ton enterrement, jolie Prudence. Tu étais la seule responsable de cette boîte pleine de cachets que tu tenais dans tes mains fragiles. Tu la jettes sur la poupée face à toi.

«ARRÊTE DE ME REGARDER SALE PUTE JE TE HAIS.»

T'as conscience que tu parles à une poupée ? Tu te lèves d'un coup, manque de te claquer un muscle. Tu soupires, attrapes ta boîte, reprend un cachet, manque de tomber mais te rattrape sur le mur contre lequel tu étais appuyée deux secondes auparavant. Tu retrempes ta culotte dans le lait, passe tes jambes contre ta poitrine, pose ton menton contre tes genoux et fusille du regard la pauvre poupée.

«C'est ça. Regarde-moi tant que tu le peux.»

Tu cries. Tu hurles. Tu arraches la tête à cette grognasse et reprend un cachet. Tu allais faire overdose, à force, tu le savais ?

▽ Faisons semblant d'exister.

Un homme. Masqué. Tu ne suivais pas vraiment la politique. Les idées s'embrouillaient dans ta tête. Masque, meurtre, exécution, choc, Batilda, pétasse, grognasse, connasse, salope, grosse pute. Et ça y est, tu te remets à bouillir. Tu inspires. Tu expires. Pas question de t'emporter encore. Calme-toi. Calme-toi maintenant.

«Il ne reviendra pas aujourd'hui. Encore moins s'il sait que quelqu'un veut le voir.»

Tu penches la tête, passe ta rage en écrasant la petite poupée avec tes ongles. Meurs. Meurs. Meurs. Ton visage ne montre rien. Toujours cette indifférence pitoyable que tu maintiens pour te protéger. Te protéger de quoi ? De lui ? Il ne t'attaquerait pas. Il ne venait pas ici pour toi mais pour Castiel. Ceci dit tu avais dit la même chose avec le blondinet qui voulait la peau de Jack. Jack. Jack. Tu arraches un bras à la poupée. Crève.

«Sinon si vous avez un message à faire passer, je peux servir de pigeon pour cette fois.»

▽ Faisons semblant d'exister.

Tu hausses les sourcils, plisse les yeux. Il ne semblait pas au courant de la relation que tu entretenais avec Castiel. Quel piètre «ami» il faisait donc là. Tu penches la tête mais ne le regarde pas. De toutes façons son visage n'exprimait rien. Ou en tous cas le masque n'exprimait rien. Tu soupires, adoptant une sorte d'air hautain que tu te plaisais à afficher. Pas pour te sentir supérieure mais pour te mettre sur un piédestal avec tous ceux qui t'entouraient en général. Le temps t'avait bien changée, jolie Prudence. Le temps avait fait de toi une personne mauvaise et pourtant tellement adorable une fois que l'on te comprend. Tu n'avais pas envie qu'on te comprenne. Et lui ne semblait même pas avoir envie de te regarder.

Tu ne bouges pas. S'il veut partir il partirait. Mais tu avais l'intention de te mêler des affaires de Castiel. Parce que s'il y avait un problème avec lui, il y avait un problème avec toi. Et tu ne voulais pas avoir de problèmes. Du moins pas plus que tu n'en avais déjà.

«Qui ne soient. Pas qui ne sont. Mais si ce que vous dites est vrai.. Alors je vais être obligée d'insister... Monsieur l'ami de Castiel.»

Tu te lèves enfin, lâche la poupée. Tu avances, attrape une nouvelle culotte dans un tiroir complètement perdu au milieu de la pièce, détaché de son armoire. Tu ne daignes même pas relever la tête vers le masqué.  

«Pour quelles raisons êtes vous entré dans ma demeure ?»

▽ Faisons semblant d'exister.

Le propriétaire du laboratoire, à la base, c'était Isaac. Il a fait de toi une des habitantes de sa demeure, donc tu estimais qu'elle était la tienne. Tu esquissas un sourire à cette pensée et le laisse se croire gagnant. Peut-être qu'il l'était ? Aucune importance tant que tu te croyais supérieure. Parce que tu l'étais, c'était ta réalité. Pas la sienne. Tu entends ses mots et chacun un peu plus te faisaient hausser les sourcils. Une fiole à côté de toi éclate. Tu l'avais pas touchée. Pas physiquement. Tu la regardes et soupires.

«Merde.»

De tes fins doigts tu ramasses le verre brisé. Peu t'importe de te couper les doigts. De toutes façons tu avais trop de sang, il pouvait bien couler. Tu laisses tes lèvres entre-ouverte, ton visage détendu. Au moins ça t'avait permis de calmer tes nerfs. C'est une manière comme une autre de te détendre, pas vrai ?  

«Le vrai propriétaire de ce laboratoire, le premier.. Est celui qui m'a nommée habitante de sa demeure. Je vais une dernière fois reposer ma question.»

Tu te retournes. Aucune violence dans ta voix, aucune agressivité. Juste ta voix faible qui s'élance vers lui. Tu jettes les bouts de verre dans un sac. Tant pis pour tes mains en sang.

«Pourquoi êtes-vous venu dans notre demeure ?»