Quand on est petit, on nous apprend a ne pas mentir. Mais finalement, on se rend compte que tout n'est que mensonge autour de nous. Et on ne sait plus où se mettre. Alors on se perd dans ses propres mensonges. Cela a toujours été le cas pour moi. J'ai commencé à ne plus voir la différence entre la vérité et le mensonge.
Qu'importe après tout ?
Mensonge ou non, tout finira par nous bléser. La vérité est dure, alors que le mensonge est doux. Là et seulement là est la différence. ça fait mal ? De toute façon, le présent finit par nous rattraper.
Me dire que je suis la même qu'autre fois, c'est comme si je disais que rien n'avait changé. Or, c'est faux. Les choses évoluent autour de moi.
Oh, bien sûr, j'aimais toujours les licornes, les couleurs pastelles. L'art ou même... Ou même ma soeur. Mais ce n'était plus comme avant. Un aveugle le remarquerait.
Je ne voulais pourtant pas faire une croix sur cette époque, mais ça serait comme refuser d'avancer.
J'avais gardé des tas de peluches de mon enfance. Je les avais rassemblés avec d'autres affaires en un petit tas devant moi. Où j'étais ? Dans un parc abandonné. C'était le meilleur endroit pour enfouir de vieux souvenir. C'était le meilleur endroit pour oublier.
C'était comme à un hommage et un enterrement. Je faisais les deux à la fois. À la fin, je ne serai indéfiniment plus la même Lilithium. Je serai... Lilithium V.2.
Un vieux journal intime, deux trois jupes à dentelles, des peluches. Toutes sortes de breloques. Qui appartiendraient dès maintenant au passé.
J'avais tout de même gardé certains d'entre eux. Mon sac en forme de licorne. Mes bijoux multicolores à licornes. Ma couverture... À licornes quelle question. Tous posés sur la balançoire à côté de moi.
Je me tenais debout devant le tas. Un briquet allumé dans la main. J'hésitais. Le faire. Ou ne pas le faire.
Le faire signifiait tirer un trait sur mon passé. Et ne pas le faire... Signifiait que j'étais trop faible. Or, il le fallait. Il fallait oublier pour pouvoir continuer.
Avant, j'aimais ces bars pleins de détraqués. Maintenant, j'avais l'impression que l'air dans un bar était tellement saturé à la testostérone, que l'on aurait pu doper un régiment de coureurs.
Inspiration. Et enflammais une feuille. Expiration. Pour moi, c'était bien plus que bruler des affaires. C'était devenir une autre personne. Mais il y avait des choses que je n'oublierai pas. J'étais fidèle à moi-même.
Mais au moment de lâcher la feuille enflammée, je me dérobais. Je m'asseyais sur la balançoire qui grinça sous mon poids. J'enroulais mes doigts vernis de noir autour des chaînes rouillées. Froides. Sombres. Puis je fixais la petite feuille se consumer, s'éteindre. Puis un bruit me dérangea. Je tournais machinalement la tête vers le bruit. Mes jolis yeux verts à l'affut du moindre mouvement.

On ne peut changer le passé. On peut se voiler la face à son sujet, imaginer des choses qui ne sont jamais arrivées, mais le passé est, et restera ce qu'il est. Douloureux, blessant, on a tous des souvenirs que l'on voudrait oublier, remanier, remodeler, de manière à ce qu'ils soient plus beaux, joyeux, festifs. On ne peut pas ne pas souffrir. Que ce soit par la vérité, parce qu'elle est coupante, tranchante, et qu'on a beau essayer de ne pas la voir, au fond de nous, on a quand même compris, on est juste trop lâche pour l'accepter. Quand aux mensonges ce sont le pire échappatoire, pourtant, lui, il les connaissait bien. Après tout, sa vie n'était qu'un tissus de mensonges, pas vrai ? Qu'il soit petit ou gros, un mensonge reste un mensonge et la destruction qu'il engendre restera la même. Changer ? Ahah.

Foutaises.

Lui, il avait changé. Pas en bien, c'est vrai. Ca n'a fait qu'empirer, c'est vrai. Se dire que changer, se reconstruire de A à Z est la seule solution est la pire des idioties possibles. Parce qu'on le veuille ou non, chassez le naturel et il revient au galop. On est ce qu'on est, point barre. Lui aussi il avait des moments où il redevenait comme avant, comme ce gamin de neuf ans qu'il était toujours intérieurement. Pourtant, il n'était qu'un menteur. Un vil menteur. Et un habile manipulateur. Dissimulé sous un masque de Pierrot il était maître de lui-même, toujours, en toutes circonstances, lui s'acceptait, lui se respectait. Et les autres ? Il les emmerdait. Ils le détestent ? Sois proche de tes amis mais encore plus de tes ennemis.

Pourtant il y a quand même des souvenirs qui restent à jamais. Parce qu'il y a toujours quelque au chose auquel on ne s'attend pas pour nous les rappeler. Il marchait. Marchait. Marchait. Il regardait ses pieds qui foulaient le sol. Il faisait gris, comme si aujourd'hui était mort un rêve d'enfant, cette journée s'annonçait bien triste. Une odeur désagréable lui chatouilla les narines. Brûlé. Changer d'air, changer d'air, c'était tout ce qu'il voulait, pourtant, à chaque fois, quelque chose le dérangeait. Si, même dans les terres des noiraudes on était plus tranquille...  Dans un soupir il suivit la direction de l'odeur, instinctivement. Finalement, il arriva toujours au même endroit, toujours au même parc, mais jamais la même personne. Des affaires, des souvenirs, une jeune fille sur une balançoire, et des licornes un peu partout. Oh. Mon. Dieu. Des licornes. Dans sa tête, il y eut quelque chose comme un OMG DES LICORNES JE AZERTYUEOZEIOZEOAEOAEJK. tout à fait calme et mature.

Herm.

Trop pressé, trop agité, son pied atterrit sur une branche qui par la magie de cause à effet craqua dans un bruit. La demoiselle tourna vers lui des yeux émeraudes et il ne put s'empêcher de la détailler du regard. Elle était belle. Ca, il ne pouvait pas le nier. Pourtant, jamais il ne lui dirait. Regardant les affaires il reprit son sourire hautain, cet air mesquin qui lui collait à la peau.

► Oh ? Bah alors ? On est tellement seule qu'on ressort les jouets de ses cinq ans et on s'invente des amis ? Vraiment, y'en a qui on aucune fierté je vous jure.

Dit-il en bavant intérieurement sur le tas d'objets aux motifs de licornes.

Ma peau se recouvrit de frissons. Il n'était que l'après midi, mais des cumulus géants s'entassaient dans le ciel. J'avais froid. En même temps, la seule chose que j'avais sur le dos était un débardeur et un short noir. J'avais troqué mes vieux habits contre des vêtements plus ample, plus confortable. Plus pratiques. Même mes ongles y étaient passés. Ils étaient coupés courts. Et mes habituelles tennis à mes pieds, j'étais pour le moins... Masculine. Mais je n'avais pas perdu mon sens de la mode, non non. Ce n'était que temporaire.
Que je le voulais ou non, j'avais commencé à psychoter. La vie à l’état sauvage m'avait monté à la tête. Je cherchais du regard un quelconque objet qui pourrait servir d'arme. Mais je ne bougeais pas.
Oh. Là bas. Un stylo. Pas tout à fait le genre d'armes que je cherchais, mais après tout, tout peut servir.
Un mignon petit blondinet se pointa de derrière les buissons. En s'exclamant :

"Oh ? Bah alors ? On est tellement seule qu'on ressort les jouets de ses cinq ans et on s'invente des amis ? Vraiment, y'en a qui on aucune fierté je vous jure."

Un sourcil se haussa. Je lâchais les chaînes froides et rouillés lentement. Aux aguets. Il était peut-être mignon et sa couleur de cheveux enfantine, cela ne voulait rien dire.
Son air hautain et sa phrase m'avaient... Sacrément irrité.

"La fierté entrave le progrès."

je ne pensais pas qu'il puisse comprendre ce que je voulais dire. J'avais récité cela plus pour moi que pour lui. La fierté, c'est être fidèle à sois même. Je venais juste d'en faire une expérience. La feuille avait entièrement été brulée. Il ne restait plus que quelques centres que le vent s'empressa d'emporter au loin.
Lentement, je me relevais. Et le surplombais de tout mon splendide mètre quatre-vingt cinq. Ça peut servir parfois d'être grand. Il avait tiré une conclusion active. Il était idiot. J'allais le remettre à sa place.

"Crois tu qu'une personne qui s'invente des amis les brûlerait ?"

Il n'avait pas l'air de venir d'ici. Non. Ses paroles étaient trop insouciantes. La terre des noiraudes module ses habitants. La terre des noiraudes les transforme à son image. Ses habitants ne s'adressaient pas comme ça à n'importe qui. Ses habitants étaient craintifs, mais forts.
J'en étais la preuve même. Si j'étais comme avant, je n'aurais pas frôlé la mort quelques mois plus tôt. Je ne serais pas devenue... Ce que je suis maintenant.
La Lilithium d'avant aimait le parme et les licornes. Celle d'aujourd'hui n’hésiterait pas à tuer pour survivre.

Il la fixait ;
Elle l'intriguait ;
Si sauvage ;
Si courageuse ;
Si hautaine ;
Et pourtant, dans son regard, il pouvait la voir.
Cette douleur.
Cette expression qu'il avait de nombreuses fois vu depuis qu'il était ici.
Cette expression qu'il avait eu lui aussi.
Celle qui lui fait se rappeler que lui aussi il a souffert ;
Lui aussi il a goûté à l'enfer ;
Son propre enfer.
Sa propre douleur.
Ces rêves éphémères ;
Ces rêves nés d'un coeur qui voudrait renaître ;
Toujours plus pur ;
Plus innocent ;
Toujours moins mûr ;
Pour ressembler à un enfant ;
Cette innocence qu'il a perdue ;
Qui s'est faite oubliée ;
Qui a sombré ;
Dans une maturité précoce ;
Dans les ébats d'un divorce.
Ô combien douloureux ;
Ô combien désastreux ;
Qui l'avait fait changé ;
Qui l'avait métamorphosé ;
En ce montre mesquin ;
Cet esprit assassin ;
Ce dessin médiocre ;
Cette ébauche aux couleurs âpres et ocre.

C'est avec ce désir qu'il avait grandit, ce coeur meurtrit, ce désir insatiable de se venger sur n'importe qui et pourtant, pourtant, rien n'avait changé, même s'il avait arrêté de pleurer. " Fierté ", qu'elle disait. La sienne était mal placée, jamais il ne l'avouerait, jamais il ne s'y abaisserait. Il était fier, c'est vrai. Oui, il marchait la tête droite, il ne détournait pas le regard, il fixait l'horizon, la tête remplie de décisions. C'est pourtant une fierté blessée, surtout quand elle se mit à le surplomber. Il détestait être petit, pourtant ça avait toujours été ainsi. Les brûler ? Pourquoi faire ? C'est vrai après tout, c'était assez dur de s'imaginer ne plus être seule, d'effacer cette solitude. Mais il ne faisait que vanner, se donner l'air de maîtriser. Quoi ? Tout. Absolument tout. Il voulait diriger sans pour autant être le maître, sinon, il ne vaudrait pas mieux que ces hommes politiques qui lui font pitié.

► Pourquoi pas ? Tu as peut-être assez de temps pour recommencer à les imaginer.

Il la défiait du regard, il dominait même si ce n'était pas son territoire. Menteur. Menteur. Menteur. Il était celui qui était en faiblesse, comme à son habitude. Mais il ne perdrait pas la face, petite utopie n'aurait su l'accepter.

Il me regardait comme si j'étais... Comme si j'étais un putain de chien à la rue que son maitre aurait maltraité. Mais son regard était lointain. Plus loin encore que la pensée. Il n'était pas là, je le voyais. Il était perdu. Quelques instants, je crus que je m'étais trompée sur lui.
Je connaissais bien ce genre de personnes. Elle s’enferment dans de la... De la haine. Elles cachent quelque chose.
Oh oui, je le savais. J'étais moi-même entrain de devenir comme ces... Choses hautaines. Je m'étais pourtant promis de ne jamais devenir comme ça, mais le temps forge ses enfants.
Malheureusement, toute trace de pitié s’effaça quand il prononça :

"Pourquoi pas ? Tu as peut-être assez de temps pour recommencer à les imaginer."

Je serrais les dents, puis les poings. Idiot. C'était le mot. Je n'avais pas envie de répondre, et je savais que face à ce genre de personnes, répondre ne serait que les encourager à continuer.
J'avais tout à coup envie de les brûler ces affaires. De faire un grand feu de joie. Un très grand feu de joie.
Je desserrai les poings, puis me retournais Je ramassais le briquet et repris des feuilles. J’hésitais plusieurs secondes avant de l’enflammer.
Au revoir, Lilithium.
Je me fichais qu'il soit un spectateur, je me fichais de sa présence. Il n'y avait plus que moi qui comptais. "Plus que moi"... Ce sont les pensées d'un être malsain. Non, je ne l'étais pas. J'étais juste plus forte.
Les flammes dansaient le long de la liasse de feuilles. La chaleur grimpait le long de mon bras tendu vers le tas. J'avais subitement chaud, très chaud.

"Au revoir..." chuchotais-je.

Au même moment, une goute tomba sur mon nez. Les cumulus avaient décidés de déverser leurs pleurs.

Ca s'effaçait. Dans des flammes, dans des mots, sans des larmes, sans renouveau. Ca disparaissait, un peu, beaucoup, passionnément, à néant, dans ses flammes écarlates qui jonchaient le sol. Et il regardait tout ça, d'un air indifférent, alors qu'à l'intérieur, il criait, il hurlait, il la suppliait de tout arrêter, parce qu'il s'en voulait de l'avoir enclenché, cette machinale infernale, ce bouton radicale, celui qui porte en gros et en blanc ces cinq foutues lettres dont il voudrait lui aussi se débarrasser.

Passé.

Ca regroupe des mots, des envies, des peines, des oublies, des remords, des amours, des adieux et des toujours, c'est ces petits riens qui nous ont longtemps comblé avant de se trouver délaissé parce qu'on a changé. Il voulait s'en détacher, les arrachait, les éradiquer, ces sataniques chaines qui le retenait, mais il ne pouvait pas s'y résoudre, jamais.

Alors il a sombré.

Doucement, lentement, toujours plus bas, plus profond, sans une main pour le rattraper dans sa chute inexorable. Qu'il en avait versées, des larmes. Qu'il en avait poussés, des cris. Qu'il en avait fait, des rêves. Qu'il en avait espérés, stupide être. Stupide ? Oui, stupide. Il n'était qu'humain après tout, il n'était qu'enfant, après tout.

Il scrutait.

Cette demoiselle à la chevelure de feu, ses yeux verts mis en valeur par le gris des cieux, ses mains qui avaient réduit à néant ce petit bout d'un tout qui se consumait encore et encore, provoquant cette agréable fumait pour le jeune homme. Et puis il vit ; comme le reste ; quelque chose qui le surprit. Des licornes. Il haussa un sourcil, s'approcha, examina, avant de doucement saisir un des objets, une petite peluche de l'animal, qu'il fixait, avant d'arborer un sourire en coin, une lueur de gaminerie dans le regard.

► Tu comptes l'éradiquer, ça aussi, ou je peux te le voler ?

Il se tourna vers elle, peluche en main, avant de sourire un peu plus, comme d'habitude.

► Lilithium, hein ? Original, comme prénom.

Tricheur, il avait juste regardé l'étiquette.

Je me souvenais. De cette petite fille aux cheveux de feu. Accroupie au bon milieu d'un parc. Elle ne jouait pas avec les autres enfants. Elle portait une robe à dentelles blanches et un col rond noir alors que tout les autres portaient des salopettes. Ses babies noires avaient étés souillées par la terre, et la vulgaire peluche qu'elle tenait à la main était en état de décomposition critique.
Je me souviens que cette peluche, la petite fille l'avait perdu dans le courant de la mer, elle avait été remplacée par celle que ce garçon tenait là : une licorne blanche à la crinière violette. Si la petite fille était encore là, elle aurait couru la lui arracher des mains. Mais cette petite fille n'était plus là. Enfin, elle tentait de s'en convaincre.

"Je n'en ai plus besoins. Tu peux la prendre."

Je l'avais cheris cette peluche, mais elle allait passer au feu, comme toutes les autres. Il dit ensuite mon nom. Lilithium. Lilithium. Lilithium. Il y avait tant de doux souvenirs avec ce nom. Tant de choses... Qui m'empêchaient d'avancer.
Je n'étais pas un monstre, je ne l'ai jamais été. Un petit oiseau chantait à mon oreille qu'il n'était pas question que je devienne une insociable, cela ne me ressemblait tout bonnement pas. J'étais gentille, sociable, adorable, douce Lilithium. Ou alors, je ne l'étais pas.
On peut fortement avoir envie de quelque chose, mais cela ne veut pas dire que l'on l'aura.

"Oui. On peut le dire."

Alors que je regardais les flammes danser, je tournais ma vers l'heureux inconnu pour presque apercevoir des étoiles dans ses yeux. Pas fondamentalement mauvais. Un petit garçon.

"Elles t'intriguent ?"

Bien sûr, je parlais des licornes, de ces vestiges du passé. Qu'est-ce que je les aimais. Ces douces peluches.