Poison volé ou acheté ? [ PV : Mistral ]

Matin : Environ huit heures et demie. Ça doit faire une bonne demi-heure que je me trouve là, dans ce parc, à observer de loin ce qui se déroule sous mes yeux. Une zone du parc a été fermée au public, surveillée par de nombreux agents de police. Personne n’a le droit de passer, à part ceux autorisés. Un homme a été retrouvé mort ce matin, dans le parc, par des coureurs qui ont l’habitude de faire leur footing ici. Ils ont immédiatement appelé la police, pour les alerter. Évidemment, l’annonce m’est parvenue aussi. Et on m’a demandé de rappliquer sur le champ.

Les policiers me connaissent bien à force. Ils savent que s’ils ne m’ordonnent pas de venir, je ne bouge pas de chez moi. Je soupire au milieu de la foule agglutinée devant les barrières de sécurité. Quelques visages se tournent vers moi, mais je les ignore totalement. Je me fraye un chemin jusqu’aux barrières et tente de me faufiler discrètement dessous. Malheureusement, un agent me prend la main dans le sac. Il me retient par le bras, alors je pivote vers lui et le regarde avec un air neutre, bien stressant.

« La zone est interdite au public, jeune homme. Veuillez reculer.
- Allez monsieur ! Soyez gentil ! Laissez-moi passer ! Je ne toucherai à rien, c’est promis ! »

Quel merveilleux jeu de mots, Silver. C’est magnifique ! En fait, c’est que je suis à deux doigts d’utiliser mon pouvoir sur ce pauvre agent, car j’ai la flemme de fouiller ma veste pour sortir ma carte passe-partout. Sauf que je n’en tristement pas l’occasion. Une femme de l’autre côté des barrières sort du groupe pour s’approcher de nous. Je laisse échapper une grimace, me plaignant mentalement avec un « Oh non, pas elle ! » Elle s’arrête non loin et pose son regard bleu foncé sur moi.

« Enquêteur Silver, vous en avez mis du temps. Je suppose que vous avez oublié votre carte, c’est pour ça que vous essayiez de passer sans vous faire remarquer ?
- Non, non, je l’ai. Je ne suis pas du genre à oublier quelque chose, vous devriez le savoir. Je testais juste vos agents. »

Pour prouver mes dires, je sors – enfin – ma carte et la montre à l’agent qui en reste bouche bée. Je pense qu’il a surtout mal pris le fait que je le testais sur mon travail de surveillance, mais bon, c’est sans importance. Sinon, en ce qui concerne la femme, je ne l’aime pas. Dès que son équipe se voit assigner une mission concernant un mort, elle m’appelle aussitôt. Elle ne fait pas toujours la différence entre suicide et meurtre. J’ai la malchance d’être dans son équipe… Je lâche un soupir.

Plus j’approche de la scène, plus je reste attentif aux moindres détails alentours, comme une éraflure sur un arbre, une trace de pas dans l’herbe… Je parviens finalement à la scène. Un homme est allongé, les yeux clos, une main sur le ventre, l’autre le long du corps. Je crois discerner un petit sourire sur ses lèvres. Non loin de lui, un flacon noir jonche le sol. Il semble vide. Je m’agenouille près du corps et détecte une odeur assez forte de la flore sur lui. Cet homme n’habite pas dans la Cité. Et puis, cette position… On dirait qu’il dort paisiblement…

« Nous pensons que le mort a été empoisonné par le coupable.
- Empoisonné ? Non. Il s’est suicidé. Regardez par vous-même cet air paisible qu’il a. »

Mon aide s’arrête là. Cet homme avait certainement des problèmes avec son travail ou sa famille. … Je dirais plus avec sa famille, d’ailleurs. S’il est venu dans ce parc pour mettre fin à ses jours, c’est qu’il devait avoir une bonne raison. La ou les personne(s) qu’il chérissait tant venai(en)t probablement souvent ici. Pour pouvoir la ou les rejoindre plus facilement, il a choisi cet endroit. Je me relève et tourne les talons, vers la barrière. Je quitte le parc, laissant mon équipe assez ahurie par mon analyse. Je sais qu’ils vont poursuivre leurs recherches et qu’ils tomberont sur le même résultat. Moi, je dois aller vérifier quelque chose…

Après-midi : Quinze heures. Vers onze heures, j’ai quitté la Cité Yubaba pour me rendre dans les Landes de Calcifer. C’est là-bas que ma théorie se vérifiera. J’y suis arrivé six heures après mon départ. Le voyage est sacrément long et ennuyeux. Je soupire tout en entrant dans une grande allée envahie de marchands et acheteurs. Je déteste ce genre de quartier, mais je n’ai pas le choix. C’est dans ce quartier commerçant que j’ai le plus de chance de trouver des renseignements sur le vendeur de poisons.

Je longe le quartier, m’arrêtant devant certains stands pour demander s’ils ont entendu parler d’un créateur de poisons dans les environs. Et la plupart des interrogés m’ont répondu la même chose « Ah ! Tu parles de cette effrayante conceptrice de poisons ? Elle est passée ici tout à l’heure ! Continue ton chemin, tu devrais la rattraper. Elle a les cheveux bleus pâles ! » Bingo. Bon autant pour moi, c’est une femme. J’accélère un peu le pas pour la retrouver. Oui, courir, c’est trop fatiguant et ça gâche de l’énergie pour rien. Je préfère marcher vite. Malgré tout, ma course un peu plus rapide porte ces fruits car j’aperçois une jeune femme aux cheveux bleus à quelques mètres de moi. Je m’approche pour lui parler :

« Excusez-moi… Je me présente, je suis Silver, un enquêteur dans la Cité Yubaba. J’aurais une question à vous poser. Est-ce possible ? »

Poison volé
ou acheté?

Mistral s’étira, faisant craquer ses os, avant de relâcher son corps dans un long soupir. Elle leva ses yeux, observant d’un air las la vive lueur du soleil qui resplendissait en ce milieu d’après midi. En temps habituel, elle ne serait pas ici, les mains vides, mais au marché noir, à vendre à prix forts des poisons qui en vaudraient la moitié aux quelques naïves personnes qui passaient près d’elle. Cependant, une affaire plus problématique l’occupait depuis quelques jours. Bien plus problématique.

En effet, il y a trois jours, après avoir passé au moins six mois à récolter les ingrédients dont elle avait besoin, elle avait fini par réussir la préparation d’une de ses plus dangereuses décoctions.

Contrairement à son habitude, elle n’avait pas créé celle-ci en s’appuyant sur des livres et recettes déjà connues, mais avait laissé place à sa propre imagination, et utilisé des plantes qui n’étaient que vaguement connues, voir légendaires. C’était avec fierté qu’elle avait constaté que ses manœuvres avaient donné forme à un liquide qui semblait plutôt proche de ce qu’elle attendait. Il ne manquait qu’une étape avant qu’il soit complet : le laisser bouillir une heure et demi. Ensuite, elle pourrait le ranger dans le coffre fort placé sous une latte du parquet de sa chambre avec ses autres poisons, comme à son habitude. Oh, elle ne les laissait jamais en vue, oh non. Sa maison, bien qu’en plutôt bon état, n’avait pas le niveau de sécurité nécessaire pour empêcher l’intrusion d’un quelconque voleur qui passerait par là. C'est pourquoi elle plaçait dans tous les recoins sombres de son habitation des petits coffres forts remplis de ses biens.

Mistral n’étant pas quelqu’un de très patient, elle s'était bien vite lassée de devoir surveiller sa préparation. Voyant qu’elle ne montrait de toute façon pas de changement particulier, elle avait décidé d'aller prendre une douche. Oh, grave erreur, car une fois sortie de sa salle de bain, son travail avait disparu. Envolé. Grâce au vent froid qui soulevait ses cheveux, elle avait pu rapidement remarquer que sa porte, enfoncée, était ouverte. Elle s’était précipitée à l’extérieur, et avait couru aux alentours de sa maison, mais malgré plusieurs heures de recherches, elle n'avait trouvé aucune trace du malfrat.

Dès le lendemain matin, elle s’était mise à parcourir les marchés, pensant que l’individu qui lui avait dérobé son bien avait surement dû essayer de le revendre.
Et c’est ainsi qu’elle s’était retrouvée, quelques jours plus tard, sur un chemin des Landes, repartant une nouvelle fois bredouille d’un marché où personne n’avait eu quelconque information sur ce qu’elle recherchait.

Malgré tout, elle ne perdait pas espoir, le ravisseur avait peut être jugé plus utile d’attendre un peu avant de vendre son bien pour ne pas attirer l’attention. S’il comptait le vendre.

Elle sortit de ses pensées en entendant une voix l’interpeler.

-Excusez-moi… Je me présente, je suis Silver, un enquêteur dans la Cité Yubaba. J’aurais une question à vous poser. Est-ce possible ?

Elle stoppa sa marche, détaillant le jeune homme du regard. Il semblait assez jeune, et plutôt réservé. Sa carrure était plutôt frêle, il possédait des cheveux bruns rougeoyant et des yeux lui rappelant les couleurs de la forêt. Malgré cette apparence qui lui faisait penser à un petit garçon perdu dans les bois, son regard paraissait emprunt d’un grand sérieux.

Sérieux qui ne lui semblait pas de très bonne augure. De manière générale, toute personne se disant inspecteur ou venant d’un domaine judiciaire ne pouvait pas lui parler pour des raisons très positives.

-Bonjour. Bien sûr, de quoi s’agit-il ? s’enquit-elle.

Quel pouvait-être le problème, cette fois-ci ? Un client qui aurait utilisé un de ses poisons à mauvais escient et lui aurait rejeté la faute sur le dos ? Peu probable, ses acheteurs savaient la plupart du temps se faire discrets. De plus, il venaient pour la plupart des Landes ou de la Vallée, elle avait peu de liens avec la citée Yubaba. Ah, la dernière fois qu’elle s’y était rendue, elle avait quelque peu terrorisé des enfants qui l’avaient clairement énervé. Peut être que leurs parents s’en étaient plaint ? Mais de là à faire venir un inspecteur jusque dans les Landes tout de même, c’était étrange, de plus, ce n’était pas le type d’affaires dont celui-ci devait s’occuper. La seule chose qui lui venait à l’esprit était la disparition de sa concoction, mais elle ne comprenait pas comment cela avait pu avoir une incidence sur la Cité. Elle attendit donc, les réponses à ses questions silencieuses ne tarderaient surement pas à venir.

Elle s’est arrêtée. Elle ne s’est pas enfuie. Ça me surprend un peu. Mais tant mieux. Je vais pouvoir parler à la conceptrice sans problème, je pense. Je ne compte pas l’arrêter, de toute façon. Pourquoi faire ? Elle n’y est pour rien dans cette histoire. Enfin, sauf si elle a donné cet échantillon de poison à notre victime. Sauf que, si elle se sentait responsable d’un quelconque crime, elle serait certainement partie en courant. Hors, elle est restée pour m’écouter. C’est un bon point. Je vais mettre l’histoire au clair et rapporter mon rapport au poste, même si je souhaite résoudre cette enquête plus pour moi que pour la police.

La fille aux cheveux bleus se retourne vers moi. Je remarque qu’elle fait environ ma taille. Malgré ça, elle me semble plus adulte. Je lui donnerai bien au moins dix-huit ans. Ses yeux sont d’une couleur semblable à ses longs cheveux. Je ne peux le nier, elle est belle. Et puis, ça lui donne un air… rafraichissant qui me fait penser au Canada et à toute cette neige. Et à mon meilleur ami, Loup, aussi. Je me demande comment il va d’ailleurs… Mais ce n’est pas le plus important pour l’instant.

Pour détendre un peu l’atmosphère, je me force à esquisser un petit sourire. Les sourires, ce n’est pas mon fort, malheureusement. Et je doute qu’elle soit dupe. Je me frotte la joue, quelques secondes, en réfléchissant, cherchant par où commencer. Puis je finis par trouver. Je fouille dans ma poche pour sortir mon portable et montre une photo de la scène de crime à la fille. Quand est-ce que je l’ai prise ? Avant de quitter les lieux. Je savais que j’en aurai besoin. Je grossis l’image sur le visage paisible du mort.

« Nous avons retrouvé cet homme mort dans un parc, ce matin. Il n’avait aucune marque de blessure. Mais un petit flacon noir se trouvait à côté de lui. Il était vide. D’après l’autopsie, il serait mort empoisonné. Le reconnaissez-vous ? Fut-il l’un de vos clients ? Avait-il des problèmes dans la vie ? »

Ça faisait beaucoup de questions d’un seul coup. Je ne réalise que maintenant qu’une faille se trouve dans mon raisonnement. Pour moi, c’est un suicide. Et c’est certain. Mais comme puis-je être sûr que le poison provient des Landes ? Simplement grâce à l’odeur de flore qui traînait autour du corps ? Non, car dans ce cas, la Vallée du Vent porterait cette odeur aussi. Hum… Je pose une main sur mon menton, tout en réfléchissant de nouveau. Quel détail a bien pu attirer mon attention ? C’est rare que ma mémoire me fasse autant défaut. Bon, ça me reviendra plus tard.

« Ah ! Ne vous en faites pas. Je ne suis pas là pour vous arrêter. Nous avons déjà déterminé le coupable. »

Pas la peine d’en dire plus. C’est une affaire classée. Mon but est juste de la mettre en confiance. Je veux simplement connaître la vérité sur cette histoire. C’est peut-être bête comme raison, mais j’aime bien savoir les raisons qui poussent les gens à se suicider ou à commettre des meurtres. Si quelqu’un m’entendait dire ça à voix haute, il penserait certainement que j’ai un esprit dérangé. Eh bien, les gens pensent ce qu’ils veulent après tout. Mais ça me permettra peut-être de comprendre pourquoi on me martyrisait quand j’étais petit…